Dès le début de la trithérapie, plusieurs médecins m’avaient conseillé de ne rien dire autour de moi : j’ai donc choisi d’en informer mes enfants uniquement dans un premier temps.
Puis, la mise en place de cette trithérapie nécessitant un arrêt de maladie de plusieurs semaines, j’ai cru pouvoir faire confiance à ma hiérarchie en expliquant au directeur de l’établissement dans lequel je travaillais, les raisons médicales exactes de mon absence.
J’ai compris, trop tard bien évidemment, à cause de cet événement qui se situe en 1997, qu’il ne faut jamais confondre amitié et bonnes relations professionnelles. J’ai cru pouvoir me confier à cette personne eu égard aux conversations que nous avions échangées et au travers desquelles je lui supposais une grande honnêteté ; je me trompais, essentiellement parce que je n’avais pas encore saisi l’impact à connotation discriminatoire du SIDA.
Sans entrer en détail dans le processus très élaboré de ma « mise à l’écart », je préciserai seulement que je travaillais dans cet établissement hôtelier depuis six saisons consécutives, sans jamais avoir eu besoin d’aucune lettre de demande d’emploi. J’étais intégré automatiquement au sein de l’équipe saisonnière (environ trente personnes), à chaque période d’ouverture de l’établissement (6 mois en hiver et 3 mois en été).
Or, la saison suivante, je n’ai pas été repris, aux motifs que j’aurais manifesté le souhait de ne plus faire partie du personnel ! La suite se déroulera aux Prud’hommes, puis en Cour d’Appel dont l’Arrêt condamnera finalement ladite entreprise pour licenciement abusif.
Il est clair qu’après avoir subi ce genre de discrimination, on réfléchit plusieurs fois avant de divulguer son statut sérologique. De surcroît, déclaré dès 1998 « inapte au travail », j’ai dû cesser toute activité dès l’âge de 48 ans. A partir de là, tout s’enchaîne pour vous entraîner bien vite dans la spirale de l’exclusion.
Outre les innombrables formes de complications physiques dues aux effets secondaires du traitement et au virus VIH lui-même, il m’a fallu gérer comme tant d’autres, cette évidente sensation de mise à l’écart. En quelque sorte, on se considère soi-même très vite comme indésirable, si rien ni personne ne vient vous prouver le contraire.
Pendant presque dix ans, j’ai vécu dans la hantise que ma maladie soit découverte par tout un chacun. A mes proches, seuls au courant, je demandais de plutôt orienter les questions qu’on leur posait à mon sujet, vers une maladie du type « cancer » et, en tout état de cause, de ne jamais confirmer les rumeurs de SIDA.
Dix années durant lesquelles il m’a fallu vivre dans une sorte de mensonge permanent, par crainte de devoir subir la violence de l’exclusion, la violence du jugement mal fondé des autres. Dix années au cours desquelles j’ai réappris à vivre, à lutter pour trouver une sorte d’équilibre et pour ne pas sombrer dans ce que je croyais être une voie de secours : l’alcool et la drogue. La solitude m’a considérablement aidé, notamment sur le fait de ne pouvoir compter que sur moi-même dans les douloureux moments de désespoir que les épreuves de cette pathologie vous font immanquablement traverser, précisément si on choisit de vivre dans un mensonge qui semble préférable à toute vérité sur ce sujet.
Il y a maintenant deux ans, en 2008, quelques membres du groupe de parole réuni à l’initiative du service des maladies infectieuses de l’hôpital de Rodez/Bourran ont décidé de poursuivre un travail en commun. Ensemble, nous avons créé cette Association, avec l’idée de mettre en place une structure compétente pour apporter un soutien aux séropositifs et/ou à leurs proches, dans les difficultés qu’ils traversent.
Au plan individuel, je me suis très vite rendu compte de l’incohérence qui consistait à proposer mes services « anonymes » pour une cause qui nécessite, au contraire, un engagement direct dénué des habituelles craintes d’être vu, connu et considéré tel un séropositif. Les démarches que je suis amené à effectuer pour le compte de l’Association m’ont permis de savoir et pouvoir « afficher » ma séropositivité, sans avoir subi, jusqu’ici, le moindre retour négatif. Bien au contraire, le fait d’être complètement sorti de cet « emprisonnement », tout aussi injuste qu’inutile, me procure un bien-être dont j’avais oublié les saveurs depuis de bien longues années.
Il faut apprendre à gérer le regard des autres, apprendre à le guider vers les véritables enjeux plutôt que le conforter dans les a priori destructeurs, véhiculés uniquement par la méconnaissance de la vérité.
Chacun est libre de vivre sa séropositivité comme il l’entend. On peut choisir de se taire, de subir et de se cacher : il y a là certains avantages j’en conviens, mais les contraintes de cette option sont telles qu’il me semble difficile de pouvoir les accorder avec un parcours constructif et serein.
Pour ma part, je choisis de vivre libre : je n’ai pas honte de ma séropositivité.
ROBERT