Sida : «Si nous n’avons pas les financements nécessaire, on reviendra en arrière»

Par Eric Favereau

Alors que s’ouvre ce lundi la conférence mondiale sur le sida en Afrique du Sud, Michel Sidibé, directeur de l’Onusida, fait le point de la situation. Tout peut arriver, l’éradication du virus, comme un nouveau démarrage de l’épidémie.

Sida : «Sans financements, on reviendra en arrière»
C’est ce lundi que s’ouvre à Durban, en Afrique du Sud, la conférence internationale sur le sida, qui regroupe tous les deux ans près de 20 000 chercheurs, médecins, activistes, politiques. Un rendez-vous planétaire, d’autant qu’il intervient dans cette ville qui avait vu en 2000 un congrès essentiel, soulignant avec force le décalage alors existant : des médicaments au Nord, mais des malades au Sud. En seize ans, la riposte mondiale, comme jamais dans l’histoire des maladies, a été spectaculaire et efficace. Pour autant le combat n’est ni fini, ni même gagné. Entretien avec Michel Sidibé qui dirige depuis 2008 l’Onusida.
Au regard des derniers chiffres de l’épidémie que vous venez de rendre public, comment caractériseriez-vous la situation actuelle ?
Nous sommes à un moment critique. Soit on gagne, soit on perd. Nous avons aujourd’hui tous les éléments pour contrôler l’épidémie, et si on ne les saisit pas, tout peut redémarrer, voire en plus grave encore. Car s’il y a des éléments extrêmement positifs comme l’accès aux traitements, d’autres comme le maintien d’un niveau élevé de contamination chez les adultes depuis quelques années, nous indiquent que rien n’est définitif.
En matière de traitements, en tout cas les progrès sont spectaculaires…
Qui aurait pu imaginer, il y a seize ans, lors du congrès de Durban de 2000, alors qu’il y avait seulement 1 million de personnes traitées, en majorité dans les pays du Nord, qu’aujourd’hui plus de 17 millions de personnes seraient sous traitement ? C’est un effort magnifique. On a même dépassé les objectifs du millénaire, en  doublant ainsi le nombre de personnes prises en charge en cinq ans. En plus, il y a ces situations extraordinaires, comme les infections chez l’enfant : dans 22 pays, on a réduit de plus de 60% les nouvelles infections. Et un nombre croissant de pays ont réussi à éliminer la transmission de la mère à l’enfant. Comment ne pas se réjouir de ces résultats ?
Quels sont les signes inquiétants ?
C’est en matière de prévention que la situation est d’une grande fragilité. Chaque année, près d’1,9 million d’adultes sont infectés par le VIH, et depuis 201O, et ce chiffre ne baisse pas, voire dans certaines régions, il augmente.
Vous avez des exemples ?
L’Europe de l’Est et l’Asie centrale comptent une hausse de 57% des contaminations entre 2010 et 2015. Après des années de régression constante, les nouvelles infections chez les adultes dans les Caraïbes ont augmenté annuellement de 9% entre 2010 et 2015. Au Moyen-Orient et au Nord de l’Afrique, entre 2010 et 2015, le rapport fait état d’un accroissement de 4% par an. En fait, on peut même dire qu’il n’y a pas eu de baisse importante dans aucune région du monde.
Autre chiffre qui ne peut que nous inquiéter : 75% de toutes les infections chez les adolescents entre 12 et 17 ans en Afrique concernent les jeunes filles. Je vous donne ces chiffres pour bien montrer que l’on n’est pas en train de gagner contre épidémie. Et parallèlement on constate que les budgets pour les préventions restent  faibles, à peine 10% du total.
Ces derniers mois, en France, on ne jure que par la Prep, c’est-à-dire donner un traitement préventif avant toute prise de risque. Croyez-vous que la Prep peut bouleverser l’histoire de l’épidémie ?
Aujourd’hui, on estime qu’il y a autour de 60 000 personnes sous prep, en grande majorité dans les pays du Nord. Je voudrais que l’on hisse le niveau pour les populations chez qui le risque de contamination est élevé. Nous nous fixons pour objectif d’arriver à 3 millions de personnes sous prep en 2020. Dans les pays en voie de développement, en Afrique du sud, pour les jeunes filles en particulier, la prep peut aider beaucoup.
En tout cas c’est une chance : je veux dire que comparé à une vingtaine d’années où les méthodes de prévention du VIH étaient limitées, il y a maintenant une grande variété d’options pour répondre aux besoins des personnes tout au long de leur vie afin de s’assurer qu’elles puissent se protéger elles-mêmes du virus.
Êtes-vous inquiet sur la mobilisation financière internationale ?
D’abord un rappel : au départ les médicaments antirétroviraux valaient 10 000 dollars par an, aujourd’hui cela revient à 100 dollars par an. C’était inimaginable, on a changé la perspective de soins, on a pu mobiliser 19 milliards en 2015, mais je constate, depuis peu, une diminution de 7% des donateurs. Des données révèlent que les financements de donateurs internationaux ont atteint le seuil le plus bas depuis 2010, passant de 9,7 milliards de dollars (8,7 milliards d’euros) en 2013 à 8,1 milliards de dollars  (7,3 milliards d’euros) en 2015.
Mais vous dites que nous sommes à un point crucial…
Oui. Si on laisse passer le moment présent, on court un risque énorme, avec le risque d’un rebond de l’épidémie. Si nous n’avons pas les 26 milliards nécessaires, on reviendra en arrière, comme on a pu le connaître avec le paludisme. Or, nous avons les outils, et avec un financement adéquat, on peut éviter 16 millions d’infections, éviter 10 millions de morts entre 2020 et 2030, et aller vers l’éradication.
Il y a seize ans le congrès de Durban avait frappé les esprits par l’urgence qui s’en dégageait. Et cela fut le point de départ de l’incroyable mobilisation internationale…
Chacun a ses souvenirs. Il y a eu, bien sûr, les mots de Mandela, mais ce qui me reste surtout, c’est ce gamin qui nous a interpellés, et qui nous a dit simplement : «Ma vie compte comme toutes les vies». Cet enfant doit être mort aujourd’hui, mais cette interpellation fut la plus forte. L’épidémie a tout changé, même nos perspectives. Faut-il rappeler que le sida a provoqué le décès de 35 millions de personnes, et que, selon certaines estimations, 78 millions de personnes ont été infectées par le virus.

Eric Favereau